dimanche 29 octobre 2023

Sarah Brown et le Bal des Quat'z'Arts




Organisé pour la dernière fois en 1966, le Bal des Quat'z'Arts réunissait les élèves en architecture, peinture, sculpture et gravure. C'était une grande fête carnavalesque préparée avec soin, chaque printemps et depuis 1892, par les étudiants de l'école des Beaux-Arts de Paris.
C'était un véritable carnaval dans les rues de Paris où défilaient costumés des centaines d'étudiants déchaînés, et qui se finissait en grande fête pouvant parfois donner lieu à quelques débordements.
Les participants, obligatoirement costumés, l'étaient de moins en moins au fil de la soirée qui prenait souvent un tour pour le moins trivial. En 1893, au Moulin Rouge où avait lieu la fête, une certaine Mona, modèle artistique, aurait improvisé un lent effeuillage en musique, inaugurant avec succès le premier strip-tease public. À la suite de cet événement se constitua une "Société de protestation contre la licence des rues" afin de dénoncer ce "fait d'une gravité extrême et d'une inadmissible impudeur…"
Les étudiants des Beaux-Arts étaient souvent rejoints par leurs voisins de l'école de Médecine, tous aussi exubérants que leur amis artistes, et qui à leur tour les invitaient à leur propre fête, le Bal de l'Internat, qui rivalisait avec le Bal des Quat'z'Arts dans l'ambiance et l'imagination. En effet, les étudiants des Beaux-Arts étudiaient les proportions du corps humains sur des cadavres, en compagnie de leurs condisciples carabins.
Au milieu du XXème siècle, le Bal des Quat'z'Arts sera interdit par la police pour cause de troubles à l'ordre public.
Le Bal des Quat'z'Arts se trouve à l'origine de l'expression : "j'irai t'apporter des oranges."
L'histoire commence à cause du sénateur Bérenger qui, à fin du XIXe siècle, fut surnommé le "Père-la-pudeur", roi de la censure et obsédé par la bonne moralité de ses concitoyens et surtout farouche opposant à l'émancipation des femmes et à leur droit au plaisir.
Cela remonte à 1892 où, sur dénonciation de ce sénateur moraliste, quatre jeunes demoiselles, dont Marie-Florentine Roger, dite Sarah Brown, furent jugées car elles étaient accusées de s'être montrées presque nues dans les rues pendant le défilé du bal des Quat'zarts (élèves de l'école des Beaux-Arts à Paris, à ne pas confondre avec les 'Gadzarts', ingénieurs issus des Arts et Métiers).
L'affaire fit grand bruit à l'époque et, en attendant que le verdict tombe, le poète Raoul Ponchon composa ces deux vers :
"O ! Sarah Brown ! Si l'on t'emprisonne, pauvre ange,
Le dimanche, j'irai t'apporter des oranges."

samedi 28 octobre 2023

Modèles d'artistes

 https://web.archive.org/web/20231002153913fw_/https://verat.pagesperso-orange.fr/la_peinture/modeles-feminins.htm


Fragerolle, Georges (1855-1920) Cosseret, Paul
Bohème bourgeoise / G . Fragerolle et P . Cosseret 1897


La prospérité des modèles paraît être aujourd’hui à son apogée.
Jamais, en effet, on a vu pareil nombre de peintres et de sculpteurs ; les administrations et les particuliers ne possèdent plus d’espace assez vaste pour accumuler, entasser, conserver des kilomètres de toiles peintes et des m3 de marbre taillé.
Il y a aujourd’hui des boîtes à Salons, comme il y a des boîtes à bachot : des espèces d’usines où des professeurs patentés enseignent et avec beaucoup de recommandations ceux-ci garantissent à leurs élèves la réception à l’exposition officielle au bout d’un nombre d’heures arrêtées.
Quel est le père de famille qui n’a pas reçu une circulaire lui offrant pour son rejeton la gloire artistique à prix fixe ?
C’est un peu la revanche de 1830, des époques où les artistes étaient des êtres d’exception, vivant dans un monde idéal, désintéressé, traitant de petits bourgeois tous les autres.
Désormais les bourgeois sont entrés dans le mouvement, et ils aiment mieux que leurs fils soient aux Beaux-Arts qu’au Bon-Marché ; ils préfèrent voir leurs filles fabriquer des croûtes plutôt que vendre des petits fours.
Qui est-ce qui en profite ?
Ce n’est certes pas le public qui a bien de la peine, au milieu de ce débordement, de cette profusion, de distinguer le bon du mauvais.
Ce ne sont pas les artistes, qui entendent traiter leurs oeuvres de produits tout comme la cassonade ou l’eau de Cologne, et qui sont contraints de remplacer le talent par la réclame et le travail par les soirées mondaines.
Mais ce sont sans doute les modèles ou plutôt les jeunes fille susceptibles de le devenir. A elles, tout le bénéfice de cette augmentation de la demande. On les paie bien, on les traite bien et pour peu qu’elles aient une particularité légèrement remarquable, on leur bâtit une réputation. Le jour n’est pas loin où on leur fera des ponts d’or, ni plus ni moins qu’à des divas d’opérette.
Psychologiquement, le modèle ne se distingue guère de la femme en général.
Un peu de vanité, beaucoup de besoins, c’est là ce qui les amène sur la table de pose. Quant à leurs moeurs, si elles sont plus originales, plus curieuses que celles de la plupart des femmes, cela tient uniquement à leur métier, au monde qu’elles fréquentent, aux conversations auxquelles elles assistent. Elles n’y sont pour rien, peu intellectuelles, en général très malléables, les modèles possèdent au plus haut point la faculté d’assimilation.

Viennent les modèles réellement professionnels, tel Rosalie, le modèle préféré de Paul Baudry, qu’il a mis largement à contribution dans les différentes scènes mythiques du foyer de l’Opéra. C’est aussi le portrait de Rosalie qui figure sur certains billets de la Banque de France. Comme Marie-Louise, la collaboratrice de Benjamin Constant ou encore Emma Dupont, le modèle ordinaire de Jean-Léon Gérôme ; Pauline Saucey qui se spécialisa pour le torse dans les ateliers des peintres Bouret et Bayard ; Sarah Brown qui posa dans l’atelier de Jules Lefèbvre et prêta son ensemble, qu’il est à peine besoin d’idéaliser, dans l’Ariane abandonnée de M. A. Laurens, comme Chiara, la chaste Suzanne de Henner exposée en 1867 et que tous les peintres se disputèrent à Rome. Contentons-nous pour finir de signaler encore Marie Renaud, qui dans la Femme au masque de Henri Gervex, n’est vêtue que d’un seul loup en dentelle.










En 1896, Paul Dollfus écrit une brève biographie d'Emma Dupont dans Modèles d'artistes, un volume basé sur une série d'articles initialement publiés dans l'hebdomadaire La Vie moderne sous le titre "Paris qui pose".



Gérôme, Emma Dupont, tableau offert au modèle par l'artiste

Dollfus a rapporté que Emma Dupont est devenu un modèle en désespoir de cause. Elle est venue à Paris avec son amant à l'âge de dix-sept ans - son adresse d'origine n'est pas indiquée - et lorsqu'il l'a abandonnée, elle s'est retrouvée sans ressources. Alors qu'elle flânait près d'un café qu'elle avait fréquenté avec son amant, craignant d'entrer car elle n'avait plus d'argent et espérant qu'une connaissance pourrait se présenter et lui apporter un soutien, le propriétaire est sorti pour lui demander pourquoi elle n'entrait pas. Fondant en larmes, elle a expliqué son problème, alors il lui a donné de l'argent lui disant de revenir le lendemain matin en promettant un travail. À son retour, le propriétaire du café l'emmena dans l'atelier d'Alfred Stevens.
Emma accepta de poser pour le portrait ou en costume, mais refusa de poser nue pour l'artiste. Stevens, cependant, présenta ensuite la jeune femme à Fernand Cormon qui la persuada de se déshabiller en expliquant qu'elle ferait un meilleur modèle pour sa silhouette que pour la "tête" ; avec ses encouragements, Emma s'habitua à poser nue. Elle commença à travailler pour Tony Faivre, Auguste Feyen-Perrin, et enfin Gérôme, qui bientôt monopolisa son temps.
Connu comme un travailleur infatigable, Gérôme appréciait son attitude consciencieuse et l'a même payée pour l'accompagner lorsque sa famille et lui quittaient Paris pour l'été. Dans les intervalles où il n'avait pas besoin d'elle, Emma Dupont posait pour Cormon et Feyen-Perrin.
Dollfus indique aussi que les revenus réguliers d'Emma permettaient d'entretenir un petit appartement boulevard Clichy décoré d'œuvres qui lui avaient été données par les artistes pour lesquels elle posait. Les articles de Dollfus, à partir de conversations d'atelier et riches en détails, fournissent un point de départ pour comprendre l'histoire des modèles et d'Emma Dupont en particulier.
Emile Blavet rapporte par ailleurs qu'Emma, "modèle habile qui établissait parfois elle-même ses poses pour Gérôme", adoptaient fréquemment une attitude en spirale, allant de la torsion subtile à l'enroulement prononcé mettant hanches et galbe des fesses en valeur.

En 1886, le quotidien L'Intransigeant publie le résumé d'une enquête, menée par une agence officielle non identifiée, auprès de modèles féminins pour peintres, sculpteurs et photographes parisiens. Il y avait 671 femmes interrogées, et l'enquête les a triées par catégories. Seul un sixième serait né en France ; environ un tiers était italien et le reste provenait de divers pays, dont l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, la Belgique, l'Angleterre, l'Irlande, les États-Unis, le Portugal et l'Autriche-Hongrie. Les modèles féminins étaient jeunes : 539 âgés entre 15 et 20 ans, et seulement 130 avaient plus de 20 ans. Un certain nombre revendiquait une autre profession : 60 étaient des artistes dramatiques, 40 étaient des modistes, 35 des fleuristes, et 30 des couturières, tandis que le solde ne donnait aucune autre profession. Les modèles gagnaient de 2 francs jusqu'à 40 ou même 50 francs par séance. Un tiers avait été reconnu également coupable d'avoir posé pour de la "pornographie" photographique.




Les jeunes femmes entrent dans le métier de diverses manières. Certaines, comme mademoiselle Marie Renard, ont commencé dès l'enfance à poser pour ensuite poursuivre une carrière de modèle respecté pour les artistes académiques tels que Henri Gervex et Edouard Dantan ou Berthe Morisot. Au sein de la communauté immigrée italienne, des familles entières ont travaillé comme modèles.
Thérèse, au patronyme incertain, qui faisait partie des modèles interrogés par la journaliste féministe Marie Laparcerie sur le travail des femmes paru dans La Presse, a raconté qu'elle était venue d'Alsace à Paris à l'âge de 18 ans pour travailler comme gouvernante. Lorsqu'elle a constaté que le salaire qu'elle recevait était médiocre, elle a cherché un autre emploi : "Un jour, j'ai lu une annonce pour poser en costume grec - j'ai couru à la maison indiquée et quand j'ai été acceptée, j'ai quitté mon poste de gouvernante... Mais après quelques séances, l'artiste m'a demandé de poser nue. J'ai refusé. Comme il avait terminé ses études de costumes, il m'a remerciée. Me voici donc dans les rues de Paris sans un sou et dans un moment de désespoir j'ai fini par accepter de me déshabiller."
La trajectoire de Thérèse - s'échapper d'une situation abusive pour travailler en atelier - trouve un écho dans d'autres reportages qui contribuent également à expliquer la forte proportion d'étrangers dans l'enquête de 1886.
L'attrait de la rémunération se comprend aisément lorsque les gains des modèles sont comparés à la rémunération dans d'autres secteurs d'emploi proposés aux femmes de la classe ouvrière. Les modèles étaient souvent embauchés pour la séance, qui durait environ quatre heures. Les hommes étaient payés 4 francs, les femmes et les enfants 5 francs par séance.

Thérèse raconta à Marie Laparcerie qu'après les quatre ou cinq premières séances, elle ne pensait plus à sa nudité et comme je suis mince, je pose en jeunes filles, nymphes ou encore vierges. Quand on est sur l'estrade on est de simples modèles, c'est-à-dire qu'on est une sorte d'objet, mais dès qu'on descend on redevient femme et notre premier geste est un geste instinctif de pudeur.
Une anecdote répétée fréquemment tout au long du XIXème siècle raconte que le modèle était parfaitement à l'aise devant les étudiants en art, mais qu'il pouvait s'offusquer lorsqu'un étranger jetait un coup d'œil dans l'atelier.
Dans un récit anecdotique le journaliste Emile Blavet explique ainsi l'attitude : Pour le modèle, l'artiste n'est pas un homme, pas plus qu'elle n'est une femme pour le peintre. Artiste et modèle vivent, le temps de la pose, dans un monde idéal où les sexes n'existent pas et où la matière se présente, pour ainsi dire, aux yeux de l'âme plutôt qu'aux yeux du corps.
Après un certain malaise initial, Thérèse, Marie Renard et bien d'autres modèles ont fini par accepter leur nudité. Emma Dupont semble avoir partagé cette attitude bien qu'elle ait refusé de se dévêtir lors de sa première visite à Alfred Stevens. Mais un peu plus tard, lorsqu'elle fut photographiée à plusieurs reprises dans l'atelier de Gérôme, elle a mimé la pose pour Omphale et a regardé avec grande sérénité le photographe.










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POUGUES LES EAUX, France
1996 - L’ART CONTEMPORAIN ET SES INSTITUTIONS - A chaque époque son art officiel. Parfois l'artiste l'ignore, parfois celui-ci y adhère plus ou moins et, plus rarement, s'y oppose ouvertement. Jusqu'alors, avec les différents médias, écrits, radio et télé-diffusés, le destinataire était essentiellement passif, se contentant de choisir et de recevoir sa source d'information, sans autre participation possible. Aujourd'hui, par l'intermédiaire de l'Internet, ce même destinataire a désormais l'opportunité de devenir un acteur actif...